Gisèle HALIMI disait : « les droits des femmes sont toujours en danger. Soyez donc sur le qui- vive, attentives, combatives ».
L’année 2022 a été une année riche en rebondissements sociétaux. En effet, nous nous sommes aperçus que les droits acquis par le passé ne l’étaient pas nécessairement pour l’avenir et qu’une simple crise sociale était susceptible de menacer les droits humains, et, plus particulièrement, le droit à l’avortement.
L’année 2022 s’achève sur le débat relatif à la constitutionnalisation ou non du droit à l’avortement. Ce débat n’est pas une remise en cause de ce droit, même s’il existe encore, à ce jour, des détracteurs, mais porte sur la protection dudit droit dans le système juridique français. La question étant de savoir si le droit à l’avortement est, aujourd’hui, suffisamment protégé.
En se comparant à ses voisins américains, qui, du fait de la révocation de l’arrêt ROE VS WADE, laissent la plus grande liberté aux États fédérés sur la question de l’avortement (et, par conséquent, sa possible interdiction), la France affronte la question de la protection du droit à l’avortement.
En France, le droit à l’avortement, célébré le 28 septembre de chaque année, a été consacré par la Loi VEIL, promulguée le 17 janvier 1975, qui a dépénalisé et encadré l’interruption volontaire de grossesse. En 1975, toute femme enceinte de 10 semaines maximum en situation de détresse pouvait avorter, sous certaines conditions. En 1982, est voté le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale à 80%. En 2001, le délai légal pour avorter est passé de 10 à 12 semaines et les mineures ont pu accéder au droit à l’avortement sans autorisation parentale. En 2014, la condition de situation de détresse a été supprimée laissant place à la volonté des femmes. En 2022, le délai légal de l’IVG est passé de 12 à 14 semaines de grossesse. Ainsi, le droit à l’avortement a été renforcé au fur et à mesure des années.
Mais, ce droit à l’avortement est consacré par une simple Loi ordinaire.
Pendant des années, cette consécration législative semblait suffire. Toutefois, les voisins occidentaux ont montré que ce droit pouvait très vite reculer.
Or, en France, pour abroger une Loi ordinaire, il suffit de voter une autre loi, c’est le principe du « ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire ».
Aussi, en fonction de la majorité parlementaire en présence et des idéologies y afférentes, le droit à l’avortement, qui est un droit sociétalo-politique, reposant sur une simple loi ordinaire, peut être réduit à néant du jour au lendemain, notamment en période de crise ou de renfermement sociétal.
Courant juin 2022, une première proposition de loi visant à constitutionnaliser le droit à l’avortement a donc été faite à l’assemblée nationale. Cette proposition s’inscrivait dans le contexte précité marqué par un recul du droit à l’avortement dans certains pays occidentaux voisins. Cette proposition de loi rappelait la fragilité du droit à l’avortement et la nécessité de l’inscrire dans la Constitution. Le Sénat a rejeté cette proposition. En tout cinq propositions ont été rejetées mais la 6e proposition du 7 octobre 2022 a été adoptée par l’assemblée nationale en première lecture par 337 voix et doit faire l’objet d’un prochain examen par le Sénat.
En droit français, les normes sont structurées au sein d’une hiérarchie aux termes de laquelle la Constitution est la norme suprême. Constitutionnaliser le droit à l’avortement c’est faire de ce droit une norme constitutionnelle qui pourra être mise en balance dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité d’une norme inférieure (loi, règlement…).
Par ailleurs, la révision de la Constitution relève d’une procédure particulière prévue à l’article 89 de la Constitution. Cette procédure classique de révision de la Constitution se fait soit à l’initiative du Président de la République sur proposition du Premier Ministre, soit à l’initiative d’un député ou d’un sénateur. Le vote se fait à la majorité simple des deux assemblées. A côté de cette procédure classique, et sous certaines conditions, la révision de la Constitution peut se faire par référendum ou par le Congrès avec un vote requis à la majorité des 3/5 ou encore par le biais de l’article 11 de la Constitution permettant au Chef de l’État de soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Constitutionnaliser le droit à l’avortement c’est rendre plus complexe sa modification puisqu’il est plus difficile de réviser la Constitution que de modifier une Loi ordinaire. La constitutionnalisation de ce droit est donc bien plus qu’un symbole, c’est une véritable protection juridique.
Bien entendu, constitutionnaliser le droit à l’avortement est aussi symbolique puisqu’il s’agit de permettre à la société de conscientiser le caractère « sacré » de ce droit dans un contexte de lutte constante des femmes pour leurs droits.